La loi "Sauvadet" de 2012 et ses limites

Les nominations équilibrées dans la "Loi Sauvadet" de 2012... et leurs limites !
AUX ORIGINES DES DISPOSITIONS DE LA LOI "SAUVADET" EN MATIÈRE DE NOMINATIONS DE FEMMES AUX EMPLOIS SUPERIEURS

L’initiative est venue d’un constat : le nombre insuffisant de femmes dans les postes les plus élevés de l'administration, malgré l'Egalité inscrite dans la Constitution et les efforts demandés depuis des décennies.

 En 2012, les femmes représentaient en effet 60% des agents de la fonction publique, mais 24% seulement des nominations aux emplois de cadres dirigeants (nommés en conseil des ministres) et 31% des nominations aux emplois de direction des administrations centrales. Le "stock" s'en ressentait : il n’y avait ainsi, par exemple, que 13 préfètes pour 127 postes territoriaux.

 Au sein de la loi dite "Sauvadet" relative à la fonction publique, une disposition a donc été introduite pour favoriser la nomination des femmes aux emplois supérieurs de l'administration pour les trois fonctions publiques (Etat, collectivités locales et hospitalière).
CE QUE PREVOIT LA LOI

 L’article 56 de la loi du 12 mars 2012 a créé un article 6 quater dans le statut général de la fonction publique de 1983. Son décret d'application n° 2012-601 du 30 avril 2012 (modifié par lécret n° 2014-1747 du 30 décembre 2014) fixe des objectifs chiffrés de femmes dans les primo nominations aux emplois supérieurs. Le décret répartit dans son annexe pour les ministères ces emplois en 10 différents types (directeurs généraux, directeurs, et équivalents, sous-directeurs et équivalents, préfets, etc.).

La circulaire du 20 août 2012 et surtout la circulaire du 11 avril 2016 du ministère de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique précise les modalités concrètes d'application pour le respect des objectifs chiffrés de femmes dans les primo nominations aux emplois supérieurs.

 Ces objectifs de flux de primo nominations étaient de 20% en 2013-2014, 30% sur la période 2015-2017 et 40% à partir de 2017.

 Le décret fixe le montant des sanctions financières calculées par ministère. Elles sont croissantes avec la monté en puissance des obligations, et calculées par "unité manquante" au regard de l'objectif chiffré à atteindre, soit 30.000€ par primo-nomination féminine manquante en 2013-2014, 60.000€ de 2015 à 2017 et 90.000€ à partir de 2018.
POURQUOI LA LOI EST INSUFFISANTE


1) 1er biais originel : le raisonnement en "flux"

Le législateur a voulu mettre la cible sur les flux et non les stocks.

 Raisonner en flux, c'est établir un quota de femmes (en l'occurrence) dans les nominations de l'année. Or, il n'y a aucune automaticité entre ce raisonnement en flux et la réduction des inégalités entre femmes et hommes. En effet, s'il y a peu de nominations chaque année, la montée des femmes dans la hiérarchie sera très lente.

Ce débat entre "flux" et "stock" est toujours un enjeu en 2019 au moment des débats au Parlement sur la loi sur la fonction publique.

 2) 2ème biais originel : le raisonnement en "primo-nominations"

Seulent "comptent" les premières nominations d'une femme donnée sur un niveau de poste donné dans un même ministère (ou collectivité etc.).

L'intention était a priori louable : éviter que ce soient toujours les mêmes femmes qui soient nommées aux postes supérieurs.

Mais si les administrations ne jouent pas le jeu de l'accueil des femmes et s'en tiennent à la comptabilisation étroite de leur quota, alors on obtient un effet pervers majeur.

En effet, pour remplir leurs quotas, les administrations n'ont pas intérêt à proposer des postes aux mêmes femmes, mais à de nouvelles entrantes. D'où un blocage quasi automatique de la progression de carrière pour celles qui ont déjà été nommées une fois !

3) 3ème biais originel : des catégories d'emplois mélangeant des niveaux de grades différents

 Une bizarrerie pour la fonction publique de l'Etat : les catégories de niveaux de postes sont tellement vastes qu'elles bloquent aussi la progression de carrière des femmes.

 Exemple : une femme nommée pour la première fois sous-directrice "compte" pour le quota ; mais si elle est nommé cheffe de service, comme ces deux niveaux de postes (sous-directeur et chef de service) sont bizarrement dans la même catégorie, elle ne "compte" plus pour le quota, et le ministère n'a donc pas d'intêret à proposer à cette femme cette progression (classique) de carrière !

Autre effet pervers possible : Les femmes pourraient être concentrées sur la partie « basse » de l’enveloppe d’emplois (par ex. sous-directrices) tandis que les emplois plus élevés (chefs de service) pourraient être occupés par des hommes, et le tout donnant quand même un objectif de flux atteint.

4) 4ème biais originel : une cible restant en deça d'une cible égalitaire de 50% (au moins...)

La cible de la loi est de 40% minimum de flux de primo-nominations de chaque sexe (ceci protége les hommes dans les administrations les plus féminisées au plus haut niveau. Pure théorie : il n'y en a pas !...).

Pourquoi pas de 50% ? Pourquoi pas d'un taux égal à la proportion totale de femmes dans l'administration concernée ?

 5) 5ème biais originel : une insuffisance des sanctions

Des pénalités ont commencé à être acquitées à partir de 2017 par les ministères n'atteignant pas les quotas de femmes primo-nominées. Force est de constater que cette non-application de la loi n'a entraîné que quelques articles dans les journaux la première année et quasi rien dès la deuxième...

Il serait bien plus efficace que les nominations d'hommes prononcées en dehors des objectifs soient interdites (pas de nomination) ou illégales (annulables par le juge administratif en cas de recours). Ce n'est pas la voie qui a été choisie par le législateur.

 6) 6ème biais originel : certains emplois supérieurs ne sont pas prévus dans le dispositif

C'est par exemple le cas des magistrats judiciaires, administratifs et financiers.

7) "On n'a pas le vivier !"

Longtemps les administrations ont prétendu qu'elles auraient volontiers nommé des femmes aux emplois supérieurs, mais qu'elles manquaient de candidates disponibles du bon niveau. L'obligation légale a fait apparaître des femmes qui, ça alors, se sont révélées tout à fait compétentes.

Cependant, force est de constater que les mécanismes de détection des femmes à haut potentiel et de création de viviers de femmes destinées aux emplois supérieurs manquent dans les administrations.

En outre, nommer des femmes aux plus hauts niveaux de responsabilité nécessite de repenser nos modes d'organisation et de réfléchir enfin aux horaires de travail, aux obligations liées aux mutations géographiques, aux âges où le franchissement de certains caps de carrière est indispensable mais correspondent en général à ceux de la maternité...

POUR UN DISPOSITIF "SAUVADET II"

Administration moderne et les réseaux féminins publics ont adressé en avril 2019 au gouvernement et au parlement des propositions d'amendements à la loi Fonction publique visant à améliorer le dispositif de nominations aux emplois supérieurs dans les administrations.
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